Gestion de l’énergie en Bonsaï: Partie 3

Dans ce troisième et dernier article de notre série, nous analyserons les variations énergétiques des bonsaïs tout au long d’une saison de croissance. Ce suivi saisonnier permet d’optimiser les interventions et de soutenir la santé et l’esthétique de nos arbres. Nous conclurons ainsi cette série en mettant en lumière l’équilibre délicat entre croissance, entretien et durabilité dans l’art du bonsaï.

Comprendre les changements d’énergie pendant une saison de croissance

Alors que pour nous humains l’année commence en janvier, pour nos arbres elle commence réellement en septembre. Il s’agit de la période de l’année pendant laquelle ils préparent l’entièreté de l’année qui suit: la résistance aux conditions hivernales, la vigueur de la reprise végétative au printemps, et la quantité de croissance pour l’année. Les explications ci-dessous vont néanmoins considérer janvier comme le commencement de la période annuelle car il est pour nous plus naturel d’identifier un cycle complet entre la croissance et la chute des feuilles. Les trois paragraphes suivants peuvent être suivis tout en regardant le graphique ci-contre, qui illustre de manière schématique l’évolution naturelle de l’énergie disponible pour l’arbre.

En janvier, au cœur de l’hiver, l’énergie accumulée lors de l’automne précédent est entièrement stockée dans le système vasculaire et les organes de stockage. Lorsqu’on s’approche du printemps et que la durée du jour et la température vont augmenter, le métabolisme de l’arbre va également s’intensifier. L’arbre va commencer à distribuer son énergie vers les bourgeons. Ceux-ci vont progressivement grossir et prendre une teinte plus brillante, signifiant l’approche du débourrement, suivi de la pousse des jeunes feuilles. À ce point, l’arbre dépense énormément d’énergie pour produire de nouvelles branches, feuilles et aiguilles. C’est une opération à perte, un pari sur le futur, car les feuilles/aiguilles sont encore tendres à ce stade, et demandent beaucoup de ressources (en eau notamment). Tant que le cuticule n’est pas présent, elles ne sont pas en mesure de pratiquer une photosynthèse suffisante pour compenser les dépenses en énergie: l’arbre est maintenant en énergie négative.

Vers mai/juin, les nouvelles feuilles/aiguilles ont durci et contribuent maintenant à pleine puissance à la production d’énergie pour l’arbre. Les réserves d’énergie augmentent à nouveau: l’arbre est en énergie positive. En fonction de l’espèce, l’arbre va pouvoir en utiliser une partie pour continuer à produire du feuillage, et emmagasiner le reste pour ses besoins futurs. Dans tous les cas, la période de croissance active est maintenant terminée et cet état plus passif va se prolonger jusqu’en septembre et le début de l’automne. Il est important de noter que l’arbre est maintenant revenu au niveau d’énergie dont il disposait avant la pousse printanière, qui correspond au niveau d’énergie maximale produite lors du cycle de croissance précédent. Il s’agit de la ligne de base que l’arbre doit nécessairement dépasser d’année en année sans quoi il ne fait que dépérir. 

D’ici la chute des feuilles, l’arbre va capitaliser sur les “panneaux solaires” qu’il a produits jusqu’ici et continuer à amasser de l’énergie et des capacités de croissance décuplées pour l’année suivante: production massive de racines, croissance du système vasculaire et des organes de stockage. Bien que ce ne soit pas nécessairement très visible pour nous car le feuillage ne change pas beaucoup, il s’agit ici de la période de croissance la plus conséquente pour les arbres. Arrivé à la chute des feuilles, l’énergie va maintenant être stockée dans le système vasculaire pour se protéger des rigueurs de l’hiver, avant de recommencer un nouveau cycle.

Les moments idéaux pour effectuer des opérations majeures sur nos arbres sans compromettre leur santé sont les périodes dans lesquelles ils sont en énergie positive ((#1 et #3), avec une activité métabolique élevée, une durée du jour suffisante et suffisamment de temps avant les premières gelées: le début du printemps avant le débourrement, et l’automne jusqu’à deux semaines après la chute des feuilles. Durant ces périodes, l’arbre possède suffisamment de réserves d’énergie pour réagir et s’adapter aux changements de besoin énergétique et de distribution hormonale que nous lui imposons. Rappelons-nous aussi que nous devons nous limiter à maximum une insulte par an (à l’exception peut-être des jeunes plantes achetées en pépinières)! Les opérations majeures sont:

  • Rempotage avec réduction importante du racinaire
  • Taille du tronc ou de grosses branches
  • Gros travail de mise en forme (grosses courbures, beaucoup de feuillage enlevé, grosses blessures)

Comme schématisé sur le graphe ci-contre, le travail que nous allons réaliser sur nos arbres va impacter l’accumulation d’énergie pendant la période automnale, et in-fine la croissance que l’arbre va être capable de fournir lors de la saison. Si nous exagérons, nous pouvons éventuellement compromettre la survie de l’arbre. Pour que nos arbres survivent de longues années, nous devons toujours laisser l’énergie remonter au-delà du niveau auquel la saison de croissance à commencé. En d’autres termes, il faut accepter que nos arbres grandiront un petit peu chaque année. Nous ne pouvons pas les garder statiques et identiques pour toujours, ils doivent continuer à évoluer!

Bien que #1 et #3 soient les moments idéaux pour travailler nos arbres, et #2 le moment idéal pour les affaiblir, il existe des nuances à ce principe. Cela dépend de l’étendue du travail (travail majeur vs. routine) que nous effectuons, et de l’état d’avancement de notre bonsaï. Rappelons d’abord que la quantité d’énergie qui peut être stockée est limitée par la taille du pot. Lors de la période de croissance, l’énergie est distribuée aux bourgeons apicaux. Par conséquent, plus ils sont nombreux et plus la fraction d’énergie reçue par chacun sera petite. Prenons plusieurs exemples tout en suivant l’illustration sur le schéma suivant:

  • Un jeune arbre en développement qui ne possède qu’un tronc et trois branches principales. Nous appellerons cet état “primaire” (dans le sens où nous cherchons à développer les branches primaires, i.e. celles qui partent du tronc). En début de saison chaque branche va recevoir 1/3 de l’énergie disponible et va donc énormément grandir. En automne, nous allons couper l’extrémité des branches et supprimer la répression des bourgeons arrières par l’auxine des bourgeons apicaux. Comme résultat, nous allons obtenir pour chaque branche trois nouveaux bourgeons apicaux au lieu de l’unique bourgeon précédent. 
  • Un arbre en développement qui possède déjà ses branches primaires et pour lequel nous cherchons à développer les branches secondaires (branches attachées aux branches primaires). Cette année, nous avons maintenant 9 bourgeons apicaux sur lesquels l’énergie est distribuée. En conséquence, nous obtiendrons de chacun une croissance plus modérée. Une nouvelle coupe automnale va à nouveau générer pour chaque bourgeon apical trois nouveaux bourgeons. Il y a maintenant un total de 27 bourgeons!
  • Finalement un arbre en raffinement, avec beaucoup de ramifications et par conséquent un grand nombre de bourgeons apicaux. Chaque bourgeon va recevoir une petite fraction de l’énergie disponible et produire une croissance très limitée.

Dans les deux premiers cas, nous cherchons à obtenir le plus de croissance possible: grossissement du tronc, élongation et grossissement des branches primaires/secondaires. Nous allons effectuer, en particulier durant l’automne, le moins de travail possible qui impacte l’accumulation d’énergie. Néanmoins tout travail nécessaire à ce stade se fera durant la période #1 ou #3 sous peine de trop fragiliser l’arbre. La multiplication des bourgeons va se passer très rapidement simplement par la suppression de la répression apicale de l’auxine: 1 -> 3 -> 9 -> 27 -> 81 bourgeons. En seulement 4 ans nous pouvons multiplier par presque 100 la ramification de nos arbres! Dans le même temps, la quantité d’énergie diminuée que va recevoir chaque bourgeon va réduire la taille des internodes et des feuilles/aiguilles.

Dans le troisième cas, nous avons maintenant un problème de répartition d’énergie. En effet le dessus de l’arbre est maintenant plus exposé au soleil, transpire plus et est métaboliquement plus actif. Les zones fortes deviennent plus fortes et les zones faibles s’affaiblissent. Les arbres vont favoriser le développement des branches fortes et productives, et se débarrasser des branches faibles et inefficaces. Ces déséquilibres sont résolus par diverses techniques dépendant de l’espèce: défoliation, défoliation partielle, pincement des bourgeons. Un point commun à ces techniques est qu’elles s’appliquent à la période #2! Mais nous avons pour un arbre de cette taille, une densité anormalement élevée de vieilles aiguilles ou d’emplacement de bourgeons. L’arbre aura donc plus de capacités à rapidement compenser la perte des ses extrémités

Au fil des années, depuis un arbre en développement jusqu’à un arbre raffiné, nous allons devoir stabiliser son profil énergétique, comme schématisé dans le graphe ci-contre. Lors des premières années, nous allons laisser l’arbre accumuler beaucoup d’énergie pour obtenir beaucoup de croissance. Puis progressivement nous allons le travailler de plus en plus à l’automne, le mettre dans un pot plus petit, commencer à le travailler également en fin de printemps pour homogénéiser la distribution d’énergie à travers l’arbre… Comme résultat, la dépense d’énergie printanière va être moins grande tandis que l’accumulation d’énergie durant la période automnale va se réduire. L’arbre va maintenant sembler beaucoup plus stable à travers les saisons et les années.

Lorsque nous en sommes à ce stade, nous souhaitons maintenir le bonsaï dans un état de raffinement élevé. L’énergie gagnée chaque année est gardée à un niveau minimal. L’arbre est presque stagnant. Il n’y a pas de place pour l’erreur car un travail légèrement trop important, un accident, une erreur d’arrosage, une météo problématique, …peut l’amener en perte d’énergie et compromettre sa survie. Si l’on se retrouve dans ce cas, il faut remettre l’horloge à zéro: rempoter l’arbre dans un plus grand pot, avec une bonne balance d’eau et d’oxygène (une caisse en bois par exemple) et laisser l’arbre récupérer sans faire d’interventions supplémentaires. On redémarre les vagues d’énergie décrites ci-dessus jusqu’à ce que l’arbre ait bien récupéré. On peut ensuite à nouveau amortir les vagues d’énergie pour retrouver un bonsaï au meilleur de sa forme et de sa qualité. 

References:

Écrit par Nicolas Lurkin

Egalement intéressant

Retour en haut